Slt !
Voici le premier chapitre, dans lequel tout ceux que j'ai cité plus haut (à l'exception de Welt) apparaissent.
En espérant que ça vous plaise !
Chapitre 1
Enclavé au pied du Mont Dies Irae, dans une sorte d'énorme grotte, le hameau était d'un calme olympien, dissimulé par divers conifères, majoritairement des pins sylvestres, des mélèzes mais aussi quelques épicéas, dont les épines, poussées par les vents violents, se battaient les unes contre les autres. La fraîcheur des matinées d'été avait déposé une fine rosée sur les buissons de bruyère, les étendues d'herbes jaunâtres, les petits champs de blé et les potagers qui bordaient le hameau.
Sous l'arche de bois qui marquait l'entrée, Gamstof, emmitouflé dans une veste polaire, les bras croisés, luttait contre la froid qui faisait rougir ses joues et les rafales de vent qui tentaient de le faire vaciller. Devant ses yeux bleus s'étendait une petite parcelle recouverte de blé dont la couleur crépitait sous le soleil blanc, telles des paillettes d'or. Au fond, il percevait deux silhouettes : l'une penchée sur un épi, l'autre assise sur l'herbe humide, adossée à un mélèze dont les branches venaient, de temps à autre, lui fouetter l'arrière du crâne. Gamstof, en plissant les yeux, parvint à reconnaître Bluffeur, qui allait de plants en plants en affichant son perpétuel air angoissé et Nbohr qui, entre deux bâillements, désignait de l'index un épi, puis un autre, comme s'il donnait des ordres à son camarade.
À environ trois kilomètres de là, sur une route de campagne qui offrait une vue panoramique du Mont Dies Irae, dont le sommet cachait encore la partie inférieure du soleil, une décapotable couleur de métal roulait à vive allure. Les rayons qui parvenaient jusqu'à la voiture semblaient rebondir sur sa carrosserie luisante et sur les lunettes de soleil quasi-neuves que portait fièrement son conducteur. Sur les sièges de cuir chair, à l'arrière, plusieurs photos étaient regroupées dans un classeur qui peinait à résister à la vitesse et au vent. Le conducteur, jeune homme aux épaules carrées recouvertes d'une chemise blanche et d'un gilet noir, esquissa un bref sourire puis donna un coup de volant sec. L'engin grimpa sur un talus, atterrit dans une pâture que les bêtes semblaient avoir déserté depuis des mois et engagea la traversée de celle-ci en poussant un vrombissement assourdissant.
De l'autre côté du Mont Dies Irae, au hameau caché, le vacarme du chauffard s'était fait entendre. Dans la chaumière la plus proche du bâtiment central, Spyra, debout devant son grand tableau blanc immaculé, un marqueur rouge à la main, tendit l'oreille. À l'autre bout de la pièce, étendue sur l'unique lit aux draps orangés, Sheeply marmonna quelques mots, en mâchouillant une des jolies mèches blondes qui descendaient le long de ses joues pâles et la gênaient un peu :
« C'était quoi c'bruit ?
- Une voiture on dirait. On attend prochainement un nouvel habitant, tu sais ? »
Il décapuchonna son marqueur qui diffusait à présent une odeur qui lui était agréable et qu'il huma aussitôt.
« Ah ouais... C'est quoi son pseudo, déjà ? » demanda-t-elle, en balançant ses jambes de haut en bas, l'une après l'autre.
À une dizaine de pas, dans la chaumière voisine, Cerveau était assis face à un grand bureau en bois de bouleau, dont la table était envahie de centaines de papiers noircis d'inscriptions. Il portait des petits verres cerclés de gris au bout de son nez, qui masquaient une partie de ses yeux rougis par la fatigue. Au milieu de la pièce, Ivoire, la mentonnière de son violon finement travaillé calée entre l'épaule et le menton, répétait inlassablement le même circuit monotone, autour du tapis rond central. Les yeux mis-clos, elle feignait de tenir un archet entre ses doigts et de jouer, dévoilant un petit sourire satisfait, comme si elle parvenait à ouïr les notes imaginaires qui sortaient de son instrument. Plongés dans leur activité respective, les deux jeunes n'avaient à aucun moment perçu le tintamarre de la voiture, de l'autre côté de la montagne.
Arrêtée entre deux pâtures, à l'ombre d'un châtaignier, la décapotable paraissait bien moins luxueuse, avec ses phares, son capot et ses portières piqués de diverses traces de boue. Son conducteur, à une dizaine de mètres, ramassaient les photos qui s'étaient extraites du classeur et que le vent s’efforçait de disséminer un peu partout sur la plaine verdoyante, comme si c'était un jeu. Chaque fois que le jeune homme se baissait, ses chaussures de cuir noir s’enfonçaient dans les terres marécageuses et il injuriait. Les clichés étaient à un tel point souillés que les visages qui y apparaissaient devenait difficilement identifiables.
Alors qu'il était parvenu à les réunir presque toutes, à l'exception d'une que le vent avait emmené vers les hauteurs du Mont Dies Irae, une fourgonnette Citroën de couleur blanche franchit le talus et suivit le chemin improvisé que le jeune conducteur s'était frayé à travers la pâture, un peu plus tôt. À peine eut-il le temps de rejoindre son auto, que l'autre véhicule l'avait déjà rejoint. Son conducteur, un homme svelte d'une quarantaine d'années, habillé en bleu de travail, s'arrêta un court instant, lui proposant son aide. Avachi sur le siège adjacent, Huricaane fixait les vêtements du jeune homme avec dédain, en produisant un petit claquement de langue. À l'arrière de la fourgonnette, Elaysse, assise sur un carton, ses jambes brunes croisées et recouvertes d'un jean slim bleu, sirotait un coca, écoutant la discussion entre les deux hommes :
« Merci, mais ça va. Quelques... documents se sont échappés de mon classeur, pendant que je roulais, mais j'ai pu les réunir, affirma le conducteur de la décapotable, en montrant le dos des photos.
- Pas de soucis ! Mais ne restez pas trop dans le coin, c'est très marécageux par ici... »
Le conducteur de la fourgonnette avait remarqué la boue qui suintait du bas du pantalon et des chaussures de son interlocuteur. Il lui adressa un sourire amical, que le jeune se força de lui rendre, avant de poursuivre la route, se rapprochant davantage d'un Mont Dies Irae qui paraissait bien sombre, malgré le soleil de fin de matinée. Elaysse se redressa légèrement afin de jeter un dernier coup d’œil au jeune homme, par l'une des vitres arrières, puis retrouva sa position initiale, sirotant sa boisson de manière plus gourmande, la paille pincée entre ses lèvres pulpeuses et rosies.
Au hameau caché du Mont Dies Irae, dans la chaumière la plus à l'ouest, régnait une atmosphère troublante. Deux jeunes filles de petite taille, aux cheveux bruns et de belle forme se faisaient face, assises autour d'une table placée contre une large fenêtre. À gauche, replaçant une mèche derrière son oreille droite, Sorakami ne quittait pas des yeux son adversaire. À droite, Hoffnung, l'air plus détendue, esquissait un sourire narquois, presque indiscernable. Cette dernière rompit le silence, lâchant froidement une accusation :
« Je sais que c'est toi. Pourquoi ne l'avoues-tu pas ?
- Je ne vois absolument pas de quoi tu veux parler, contredit-elle, après avoir pris une grande inspiration
- Elles étaient cachées sous mon matelas, seule toi le savais », poursuivit-elle, d'un calme déconcertant.
La brunette de gauche détourna le regard. Celle de droite élargit légèrement son sourire. Le temps des paroles s'acheva et toutes deux se replongèrent dans un profond silence.
À l'entrée du hameau, le vent semblait s'être apaisé. Elaysse, Huricaane et le conducteur de la fourgonnette déchargeaient denrées alimentaires, fournitures diverses ainsi que deux meubles, une table basse en verre aux pieds de fer noir et une chaise ancienne à retaper. Ils saluèrent Gamstof au passage, qui se contentait de marmonner quelques mots quasi-inaudibles en retour. Puis, tandis que le conducteur de la Citroën s'apprêtait à faire le chemin inverse, seul, la décapotable fit irruption dans un vacarme épouvantable. Le jeune homme sauta par dessus la portière, glissa le classeur enfermant les photos boueuses sous son bras, ouvrit le coffre pour en extraire une valise moyenne de couleur sobre et se planta devant Gamstof. Ce dernier détendit ses muscles, se séparant un court instant de son air sévère et s'efforça de prononcer :